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À la vie, à la mort

© Geste Édition
SACRIFICES FÉMININS. Huguette et Valentine traversent la même période d'Occupation, pas dans le même camp mais avec des (pré)occupations et des engagements humains semblables. Dans des temps dominés par la loi du plus fort, le cœur et la raison jouent à qui perd gagne. S'inspirant de faits et de personnages réels, Hervé Brunaux signe un vrai roman.

Vivantes, elles l’étaient, ces femmes qu’Hervé Brunaux fait revivre en Périgord, sous l’Occupation. L’ouvrage publié en cette année de commémoration des Débarquements et de la Libération dit la complexité d’une époque où les images trop nettes et contrastées se troublent dans le gris de situations et de personnages qui ne sont ni tout à fait du bon côté, ni du mauvais. Ces deux femmes qui prennent tous les risques n’agissent pas dans le même camp ; semble-t-il. Comment leur jeunesse tourmentée traversera-t-elle cette guerre finissante ? Sur une trame dont l’historien Bernard Reviriego a tiré le dernier fil, au plus près d’une vérité qui laisse suffisamment de part d’ombre pour qu’il puisse s’y glisser, le romancier a tissé un récit où de véritables acteurs de la Résistance et de la Milice locale se croisent et se reconnaissent sans vraiment se connaître.

Vivantes et vibrantes

Les contours des personnages sont bien réels, tout comme les faits retracés à Périgueux et dans les environs, l’auteur y a pris le contrôle de sentiments puissants, il a projeté sur les élans exaltés des réactions contradictoires, il a brouillé les pistes pour nous perdre entre la réalité et la fiction.

Dans l’attraction impossible entre Huguette et Louis, dans la répulsion mortifère entre elle et Stan se lit une même résistance à des forces contraires. Sans certitudes sur ce qu’il advint vraiment, Hervé Brunaux poursuit à sa manière l’enquête menée par les historiens pour donner à la surprenante Huguette ; et à la plus limpide Valentine, héroïque messagère à vélo — qui n’auront fait que se croiser, mais solidaires dans leur destin —, la chair et la passion que la vérité historique ne peut leur donner.

Période brutale

Le lecteur plonge à leurs côtés dans le Périgueux de l’Occupation, celui de la cité Ribot-Siegfried à Vésone ou de la Boule d’Or à Francheville ; dans les planques et les parachutages des environs de Sorges et Cornille, au cœur de l’organisation triangulaire des FTP d’Hercule. On tremble avec les familles juives réfugiées, fuyant les persécutions en cachant leur patronyme en ”ski” et en “man“. On suit, dans ce contexte, « l’occupation » insouciante ou frondeuse de ces belles rebelles, jouant le double-jeu ou l’ingénue à la barbe de l’ennemi, chacune à sa façon. On vibre avec ces femmes en avance sur leur temps, obstinées dans l’adversité, courageuses dans la désobéissance, dans la contestation du pouvoir masculin bien établi dans les deux camps. On s’attache à l’une comme à l’autre, avec ce qu’il faut de retenue et d’indulgence pour une “brave fille“ qui nourrit les siens en perdant son âme ; et une admiration absolue pour celle qui s’oublie dans le risque total, en gagnant l’honneur et l’éternité.

Visages du passé

Des figures du passé ressurgissent, Ralph Finkler ou Léon Lichtenberg chez les Résistants ; Denoix et Popineau chez les veules et redoutables, avec de terribles descriptions de combats autour des voies ferrées, de représailles sur les fermes, d’innocents sacrifiés et de biens dévastés, d’interrogatoires musclés, d’avancée de la Das Reich et des Bicots. Hervé Brunaux décrit le pire d’une plume précise, on respire l’air vicié des locaux de la Milice, on entend le terrible crépitement de la ferme Bussière, il tire le récit vers une fin redoutée en semant toujours quelques grains de folie, de gourmandise et d’humour.

Inconscience de la jeunesse

L’abondance de sources consultées et la note au lecteur sur « le vrai, le vraisemblable » dit ce que l’auteur assume d’interprétation sur la base des éléments recueillis, et on le suit volontiers dans le terrible dénouement romanesque. Jusqu’au témoignage final et inespéré décroché par l’historien, donnant du relief a ce qu’a imaginé le romancier, le lecteur ne peut oublier qu’Huguette et Valentine ont réellement existé, imposant leur liberté d’action dans une époque éminemment dangereuse, objets de fantasme et victimes de circonstances abordées avec (conflits de) loyauté et noblesse de cœur.

L’auteur clôt avec cet ouvrage son exploration de la Seconde Guerre mondiale, dans une « trilogie du courage » débutée avec l’argent de la Résistance (De l’or et des sardines) et le refuge périgourdin du couple Irène-Frédéric Joliot-Curie et leur trésor explosif (Au plus cher de nos vies), deux livres publiés aux éditions du Rouergue.

• Deux femmes vivantes. En Périgord sous l’Occupation. Hervé Brunaux. Legestenoir. 380 pages, 13,90 euros.