Comme tous les guides de Lascaux, Gwenn Rigal a toujours voulu en savoir davantage sur l’art pariétal et la préhistoire pour pouvoir répondre aux interrogations des visiteurs. Quand on ressort les yeux encore éblouis du fac-similé de la grotte, les questions fusent. D’innombrables réponses ont été lancées par des chercheurs depuis des décennies. S’agit-il de rituels de chasse, de magie, de fertilité, de pratiques chamanique ou totémique, de mythes ancestraux ou de visions d’origines d’une époque disparue ? Les théories ne manquent pas pour faire son marché et expliquer un monde très ancien sans écriture identifiable. Personne n’a jamais trouvé la Pierre de Rosette pour décrypter les dessins du Paléolithique comme pour les hiéroglyphes égyptiens.
Le livre des théories
« Je ne suis pas préhistorien, mais j’ai lu tout ce que je pouvais et interrogé des spécialistes pour en savoir plus », expliquait Gwenn Rigal lorsqu’il a publié en 2016 à Paris Le temps sacré des cavernes aux fameuses éditions José Corti. Ce livre compilant et expliquant toutes les théories sur l’art pariétal en général, et sur Lascaux en particulier, est devenu une référence : il s’est déjà vendu à 15 000 exemplaires. Un travail de vulgarisation et d’ouverture qui fut salutaire dans un petit monde de la préhistoire où chaque spécialiste a tendance à ne parler que de sa chapelle. Désormais, ce livre sert de base à une nouvelle visite mise au point par l’équipe de la Semitour qui gère Lascaux : Au cœur des théories de Lascaux.
Une visite à l’ancienne
Rendez-vous sur la colline de Lascaux, où le fac-similé Lascaux II, situé à quelques centaines de mètres de l’original, est resté ouvert pour des visites thématiques et plus longues que dans Lascaux IV. Le lieu, dont l’accès reste aujourd’hui limité, accueille 75 000 visiteurs par an alors que le grand centre d’interprétation avec son fac-similé complet reçoit jusqu’à 350 000 personnes chaque année.
Le plus ancien fac-similé de la grotte, peint par Monique Peytral il y a plus de 40 ans, a conservé toute sa fraîcheur. Il ne représente que deux des espaces de la grotte de Lascaux : la Salle des Taureaux et le Diverticule axial. Mais c’est bien suffisant pour dérouler quelques-une de la quinzaine de théories recensées par Gwenn Rigal. Dans la pénombre de la grotte, armé de sa lampe torche, il assure une longue visite à l’ancienne en s’appuyant sur les peintures pariétales pour évoquer les théories et chauffer les imaginations.
La Licorne et sa sarabande
Avec l’animal emblématique surnommé la Licorne qui ouvre la sarabande des animaux de la rotonde des taureaux, il embraye sur la thèse du chamanisme. Elle a longtemps été défendue par l’un des plus célèbres préhistoriens français Jean Clottes et par le Sud-Africain David Lewis-Williams. Gwenn Rigal résume : « Certains ont vu dans la licorne un sorcier caché sous une peau d’animal, un chaman qui communiquait avec le monde des esprits, pour négocier le droit de chasser des animaux ». Cette théorie inspirée de la culture sibérienne toungouse a fait couler beaucoup d’encre. Ce monde des esprits pourrait se trouver juste derrière la paroi où sont peints les animaux. Comme pour toutes les autres théories, le guide expose le pour et le contre, sans donner son avis.
La chasse et la fertilité
Évoqués dès les origines par l’abbé Breuil, les rituels de chasse ont vite buté sur la réalité des peintures et de l’archéologie. « On a retrouvé beaucoup d’ossements de rennes dans Lascaux. Cet animal constituait la nourriture des Cro-Magnons, mais ils n’ont représenté aucun renne dans cette grotte sur 600 dessins ! » Peut-être que l’abondance de ces animaux dans la réalité n’offrait aucun intérêt à leur représentation.
Les rituels de fertilité sont vus à travers des représentations de vulves et de figures féminines (surnommées Vénus) qui sont nombreuses dans l’art pariétal : « pour beaucoup de préhistoriens la grotte est aussi une figure féminine ». À Lascaux, les préhistoriens décryptent la sexualité à travers les figurations animales, déduisant des calendriers. « Norbert Aujoulat avait remarqué un cycle à travers la succession chevaux, bovidés et cervidés souvent superposés. Chacun avait sa période de rut à un moment différent… Sur la figure des bisons adossés, les deux animaux ont des pelages de saisons différentes. » Ne voir que de l’art pour l’art dans les peintures pariétales oublierait la profondeur du message que nos ancêtres souhaitaient sous doute transmettre au fond des cavernes.
Complexités décryptées
Bien d’autres explications complexes ont été avancées, comme celle d’Alain Testard inspirée par les Aborigènes d’Australie qui voyaient au fond des grottes les esprits d’enfants qui attendaient pour s’incarner. Les mythologues comme Jean-Loïc Le Quellec et Julien d’Huy ont recherché sur les parois des récits venus du fond des temps expliquant la création du monde.
Gwenn Rigal a de quoi peupler la visite de multiples références : « l’art pariétal a duré plus de 30 000 ans à travers l’Europe, Leroi-Gourhan parlait de première civilisation mondiale. Il ne peut y avoir qu’une seule explication ». Les préhistoriens, même avec peu d’éléments, n’ont jamais manqué d’imagination et d’arguments pour défendre leurs théories.
Des visites rares
Si Lascaux IV est ouvert toute l’année avec son fac-similé complet et ses salles d’interprétation, Lascaux II n’est ouvert pour ses visites spécialisées que de Pâques à Toussaint. La nouvelle visite Théories sera testée la première fois le 29 octobre à 17 heures pour un groupe d’au maximum 20 personnes (tarif de 29 euros). Cette visite dure une heure et demi… mais peut aller jusqu’à deux heures selon les questions des visiteurs. Elle est réservée aux adultes.
« C’est une nouvelle expérience à vivre » explique Laurent Corbel, directeur adjoint de la Semitour. Pauline Clément et Ludivine Texier, les coresponsables du site, mettent en avant l’immersion dans la Préhistoire que permet ce format. Lascaux II se visite aussi de manière plus classique ou sur le thème Aux origines avec passage à pied devant l’entrée de la grotte originale, située non loin du fac-similé.