Une rencontre fortuite, sur un quai de gare, à Argenton/Creuse, est venue enrichir le collectif. Véronique Iaciu, partie de Lille pour rejoindre le Périgord noir et le festival dont elle est directrice artistique, croise le chemin de Veronica Rodriguez, que des visites régulières à Montignac ont fini par enraciner plus durablement. Veronica est repérée au niveau national, et au-delà, pour son expertise dans la sphère du design et Véronique, dans la diversité dynamique qu’elle s’attache à tisser, cherche justement à faire entrer cet art dans le collectif constitué : cette précieuse rencontre, parmi toutes celles qu’elle suscite ou cueille au hasard de ses voyages, montre une fois encore que tous les talents mènent au Périgord. Et voici Veronica et Véronique côte à côte à la grande table de Sophie Dupont, à la chartreuse des Fraux. « Les liens se croisent et s’entrecroisent, j’apprécie le festival, j’ai assisté à des spectacle. Et dans l’invitation de Véronique, les mots collectif et femmes ont fait tilt », résume Veronica.
Dans son métier et en tant que femme, elle a à cœur de tisser des liens et rassembler des énergies créatives. « C’est quoi la culture aujourd’hui, pour qui ? Le territoire a son importance. » Veronica est arrivée à Montignac sur un coup de cœur de sa mère : venue en vacances, il y a 30 ans, cette dernière a aussitôt voulu y trouver une maison, un point d’ancrage.
Famille sans frontières
Veronica, née au Chili, est issue d’un savant mélange : son grand père, Sicilien installé en Normandie, a rencontré une Irlandaise et ils sont partis en Argentine à la veille de la guerre. Sa mère, née à Buenos Aires, s’est installée au Chili où elle s’est mariée avec son professeur de théâtre. Veronica a hérité du goût d’une vie sans frontières et un peu bohème. « J’aime beaucoup les rencontres, l’inattendu, et aborder la question de la traversée. »
Quand ses parents se séparent, c’est l’arrivée en France. Veronica a deux sœurs, dont la réalisatrice Paméla Varela, « tournée vers les émotions d’un territoire, l’identité ». La tribu de femmes aime se retrouver dans la maison de Montignac, durant l’été, avec les enfants. « Je vis à Montmartre et je viens ici très régulièrement, j’adore ce paysage, qui m’apaise d’une vie très active. »
Dans l’écosystème du design
Il y a 26 ans, alors que Veronica travaille la céramique et s’occupe de musiciens, Elsa Francès lui indique un poste à l’Ensci-Les Ateliers, école de design et création industrielle, à Paris. « J’ai adoré cet endroit, lieu de création dans des domaines très différents. » Elle s’implique dès lors dans la transmission des savoirs autour de cet art. « Je travaille avec des designers sur des ateliers de projets : on reçoit des commandes sur des thématiques comme le sommeil ou la mobilité, des identités de villes. Mon rôle pédagogique d’accompagnement, auprès d’élèves de 18 à 50 ans — car il n’y a pas de limite d’âge dans cette école publique et gratuite — m’a finalement conduite à la responsabilité des événements. Je n’ai pas réussi à choisir entre les deux missions, j’aime cette fluidité. » En contribuant au rayonnement de l’une des plus importantes écoles de design de France, elle est aussi partie prenante de l’ensemble d’un écosystème. Son réseau s’est forgé au fil des générations de designers, « dans un bouillonnement permanent d’idées et de personnalités diverses ».
Parallèlement aux partenariats institutionnels d’envergure internationale qu’elle pilote pour valoriser le design, Veronica n’a jamais cessé de s’impliquer dans la conception et la coordination de concerts et expositions de peinture et photographie, la naissance de films et de livres.
Une expertise à partager
Veronica a passé six mois en Périgord il y a deux ans, dans cette maison de femmes où gravitent sa fille, sa mère, mais aussi sa sœur et sa nièce. C’est là que la crise sanitaire est venue lui donner envie de rester proche des siens, « mais j’adore aussi Paris et mes projets ». Si elle a cessé ses fonctions chronophages à l’école, elle a conservé un lien avec d’anciens élèves de talent, développe un projet avec l’un d’eux, lauréat du prix du design de la Ville de Paris l’an passé ou encore un autre consacré au recyclage d’objets, à Milan. Elle s’occupe aussi d’un photographe, en Grèce. « J’ai la chance de connaître beaucoup de designers passés par l’école, comme Matali Crasset. » Et de travailler avec Thierry Defert (alias Loro Coiron), Clémentine Chambon, François Azambourg, Edith Hallauer, Gilles Belley, Philippe Calloix, Alberto Dittborn, Elena Tosi Brandi ou encore Julien Bobroff… autant d’explorateurs du design. « J’aime coordonner, fédérer, impulser, accompagner… J’ai envie de continuer, mais avec une temporalité différente. » Elle accompagne Nicole Marchand-Zanartu, pour son livre 32 grammes de pensée, cosigné avec le philosophe Jean Lauxerois et illustré de nombreuses esquisses. Un nouveau départ, après l’école mais riche de tous les liens avec elle, tout en pratiquant toujours la céramique. « L’esprit de ce collectif féminin en Périgord m’intéresse, pour mettre en mouvement des intelligences au service d’un projet commun, en allant puiser dans les singularités et les talents de chacune. La mutualisation et le partage possibles m’enthousiasment. »
Et, pour finir avec le même hasard du quai de gare qui a conduit Veronica à la table de ce collectif, la voilà qui évoque le lieu de création d’une ancienne élève qu’elle apprécie particulièrement : La bicicleta, à Souillac… C’est justement là que Virginie Roussel, qui embarque ce même jour dans ”Elles font l’art en Nouvelle-Aquitaine” (portrait à venir), exposera bientôt son ”Vélo-cipède”… dès que son expo quittera La gare Doisneau, à Carlux, où elle est stationnée. Voilà donc deux entrées dans le collectif en bonne voie pour se rejoindre, par le détour d’une gare de campagne.
Sophie en sa demeure
Avec son mari, Gaëtan Guyot, Sophie Dupont recherchait une architecture XVIIIe, mais plutôt dans le nord de la France : elle apprécie sa rencontre, à La Bachellerie, avec la chartreuse des Fraux (XVIIIe, sur une base XVIIe) et ses lumineux espaces. « C’est une architecture typique du Périgord, établie selon des plans proches des chartreuses monacales : des pièces organisées les unes après les autres, en enfilade, souvent en U, avec des étages non occupés. Ici, une transformation a ouvert au XIXe un couloir et une cage d’escalier. » La position dominante offre une impression de séjour dans les arbres, alignés plus bas. « Ce n’est pas la maison d’un aristocrate, plutôt d’un riche agriculteur qui exploitait une centaine d’hectares, surtout de vigne. La chartreuse est élevée sur un chai, il y a un cuvier et une maison était occupée par le greffeur. Les bâtiments agricoles témoignent de la présence d’élevages, écurie, métairie… Le petit hameau devrait aussi nous occuper longtemps », sourit-elle. Originalité du site, bâti depuis le XIVe : un cluzeau ouvre sur des galeries, à 30 m de profondeur. Et une grotte ornée présente une vache, image authentifiée comme étant de la même époque que Lascaux. Le site devrait s’ouvrir aux visiteurs lors des prochaines journées du patrimoine, en septembre.
En arrivant aux Fraux, Sophie Dupont a souhaité s’impliquer dans une association nationale dédiée aux demeures anciennes : investie pour s’occuper des Vieilles Maisons Françaises en Sarladais, avec la propriétaire d’une maison forte à Allas-les-Mines, elle organise ce mois d’avril une sortie de trois jours dans la Somme pour y guider les adhérents. « Après le val de Loire, c’est le département le plus riche en châteaux XVIIIe. » Par ailleurs, elle accueillera une nouvelle fois le festival du Périgord noir dans la grange de la chartreuse des Fraux : une rencontre littéraire, une soirée dédiée aux voix de femmes, et une autre autour de Michel Legrand, en présence de Macha Méril.